Après avoir lu notre bulletin d’information précédent qui expliquait que les enfants apprennent à gérer l’argent surtout via le comportement de leurs parents, plusieurs d’entre vous nous ont écrit et demandé : et les écoles ? Si les parents ne parviennent pas à jouer un rôle de modèle dans la budgétisation, la priorisation et l’anticipation des dépenses, l’école pourrait-elle assurer un accès égal à l’éducation financière et contribuer à briser un cycle potentiel de « mauvaises habitudes financières » passées au cours des générations ? Quel rôle les écoles pourraient-elles jouer dans l’éducation financière ?
L’introduction de l’éducation financière dans les programmes scolaires a été un sujet d’actualité depuis 2008, basée sur l’hypothèse que la crise financière a été rendue possible par l’analphabétisme financier des Américains accédant à la propriété qui ne pouvaient pas rembourser leur prêt hypothécaire (nous reviendrons sur ce point plus tard). Quelques pays ont officiellement inclus l’éducation financière dans leurs programmes, mais souvent sous la forme de lignes directrices générales laissant aux enseignants la tâche de trouver les moyens et le temps de l’inclure dans des journées déjà très chargées. La plupart du temps, l’éducation financière trouve une petite place dans les cours d’études sociales ou de mathématiques, et comme tout autre sujet, l’accent est mis sur les connaissances ou des exercices pratiques. Est-ce efficace ? En 2012, l’OCDE a mesuré la littératie financière des étudiants de 15 ans dans 18 pays (test PISA), mais le Rapport n’a pas commenté sur les corrélations avec des programmes formels d’éducation financière qui peuvent être enseignés à l’école. Les analystes du PISA ont cependant trouvé des corrélations avec le milieu socioéconomique dont sont issus les élèves (les élèves des familles les plus aisées ont eu des résultats plus élevés alors que les immigrants avaient des scores moyens inférieurs, par exemple – ce qui montre bien le rôle prépondérant des parents), la détention par les étudiants d’un compte bancaire et la propension des élèves à résoudre des problèmes complexes.
Pour pouvoir mesurer son efficacité, la première question à poser est quel est l’objectif de l’éducation financière ? Si elle vise à un meilleur contrôle des dépenses, à la croissance de l’épargne, la prévision et l’anticipation des dépenses, la gestion de la dette, cela peut-il être appris dans les manuels scolaires ou par des exercices ? L’objectif est-il l’acquisition de connaissance sur la gestion de l’argent, la budgétisation ou la prudence en termes de dépense ? Ou visons-nous plutôt à permettre aux enfants d’acquérir les compétences et les habitudes de gérer l’argent ? Seule l’habitude de faire un budget, suivre les dépenses ou comparer les différentes options avant de prendre une décision peut avoir une incidence sur la vie des jeunes, ce qui ne peut être inculqué qu’en le faisant régulièrement. Un exercice de budgétisation sur lequel se penchent des jeunes de 15 ans pendant 30 minutes sera de peu d’utilité quand ils devront choisir un endroit où vivre quand ils auront 20 ans. Les écoles pourraient-elles encourager les enfants à changer d’habitudes ?
Les écoles pourraient en fait jouer un rôle plus important. Trop souvent, la littératie financière est réduite à un point de vue égocentrique de l’argent, ignorant sa nature sociale (nous n’utiliserions pas d’argent si nous étions seuls – l’argent est un outil social). En tant que communauté ou « microsociété », les écoles sont très bien placées pour former à la dimension de l’argent qui manque cruellement: interagir avec l’argent et les autres. Les écoles pourraient encourager des valeurs qui créent une société saine, harmonieuse et résiliente telle que la confiance et la responsabilité. Les grands problèmes financiers au niveau de la société ne sont pas l’incapacité de beaucoup d’entre nous à équilibrer un budget … mais la corruption, l’évasion fiscale, les escroqueries, les transactions injustes. Comment les écoles peuvent-elles favoriser la responsabilité, la confiance et l’harmonie: en confiant le budget de l’école – ou une partie de celui-ci – aux élèves. Cela peut être un petit montant pour les plus jeunes : le budget pour une occasion spéciale: une fin d’année ou une sortie. Les enfants apprendront à planifier les coûts, à enquêter et à comparer les différentes options, à négocier avec des tiers et entre eux, à suivre les dépenses réelles. Ils pratiqueront la transparence et la responsabilité ; en outre, cela réduira toute plainte sur la mauvaise organisation de l’événement ou sa mauvaise qualité … les étudiants seront responsables. À mesure qu’ils grandissent, ils pourraient être impliqués dans des budgets et des décisions plus importants (la cafétéria, par exemple). Ils vont ainsi progressivement apprendre à être dignes de confiance; ils vont s’entraîner à prendre des décisions collectives et, en même temps, à acquérir des compétences qu’ils peuvent utiliser dans leur famille, pour eux-mêmes et au niveau de la société. En leur permettant de gérer une partie du budget de l’école pendant des années « en grandeur réelle », nous pouvons espérer que les jeunes apprennent la gouvernance et la responsabilité ce qui contribuerait à réduire la corruption et aider les écoles à remplir leur mission la plus importante: préparer les citoyens de demain.
Encourager la gestion de l’argent public avec les pairs peut également résoudre les problèmes liés à la façon dont les jeunes interagissent entre eux: lorsque l’argent n’est utilisé que comme outil de consommation – pour acheter des vêtements, de l’électronique, etc. … ou une manière d’exprimer son identité (à travers les marques et la mode, par exemple), la pression des pairs se résume à une incitation à acheter et exacerbe les différences sociales. Mais en gérant une somme d’argent en groupe, les étudiants interagiront avec une plus large gamme de décisions financières et devront apprendre à faire face à leurs différents milieux économiques et sociaux, qui influencent la façon dont ils prennent leur décision. Dans un monde qui tend à mettre en place des barrières et des ghettos sociaux, cela pourrait favoriser la discussion et la tolérance. Cela peut aussi remédier à la méfiance entre les générations.
Permettre aux étudiants de gérer l’argent public dans la vie réelle pendant des années peut également aider à atteindre un autre objectif de la littératie financière, à savoir la stabilité de notre système financier. La crise de 2008 peut nous donner plus de leçons sur le besoin d’éducation financière : avant 2008, des banquiers ayant des objectifs de profit à très court terme ont vendu des prêts hypothécaires à des personnes qui ne pouvaient pas se le permettre et les ont « reformatés » dans des produits financiers complexes qu’ils ont vendus sans évaluer leurs conséquences potentielles. On peut se demander qui est l’analphabète : celui qui n’a pas la connaissance ou celui qui a la connaissance mais a agi sans en tenir compte … cet exemple seul- du fait de ses répercussions à l’échelle mondiale – montre que la connaissance par elle-même n’est pas suffisante et qu’une vue égocentrique de l’argent peut nuire à la société parce qu’elle ne tient pas compte des deux côtés de toute transaction financière : celui qui reçoit l’argent et celui qui le dépense, ainsi que l’intention et les sentiments associés à l’argent. Toute transaction est une relation entre des êtres humains qui ne sont pas privés d’intentions ou d’émotions. La réduction d’une transaction à l’échange d’une chose ou d’un service contre de l’argent ne permet pas d’aborder les problèmes découlant de nos mentalités humaines : l’honnêteté, la confiance, la cupidité, l’asymétrie morale (ne pas appliquer la même norme pour soi-même et pour les autres), le contentement, l’empathie, la générosité … tout cela constitue le tissu de ce qui maintient ou déchire nos sociétés – cela ne devrait-il pas être au centre de l’éducation financière, c’est-à-dire l’apprentissage à gérer l’argent qui nous est confié – quel que soit son propriétaire- de la manière la plus équilibrée possible pour tout le monde ? Cette expérience nous profiterait à tous – entreprises, services publics, associations sans but lucratif … employés, fonctionnaires, bénévoles, auraient acquis une expérience approfondie de la gestion de l’argent et de la budgétisation de manière responsable avant même leur recrutement.
Le programme d’éducation financière des écoles se concentrerait alors sur doter les élèves des connaissances et compétences nécessaires pour qu’ils gèrent l’argent de l’école: cela comprendrait la budgétisation, la comptabilité simple, la recherche d’information avant de choisir, l’audit, la rencontre des banquiers, le travail d’équipe et la négociation complétée par des discussions sur les valeurs, y compris le pouvoir autour de l’argent (certains adultes pourraient être réticents à « abandonner » leur pouvoir associé aux finances), ainsi que des études de cas sur l’éthique, la consommation, le commerce équitable … Des projets de génération de revenus pourraient également être ajoutés pour compléter les budgets potentiellement maigres , et préparer les élèves à identifier des sources de revenus dans un monde où le travail à plein temps comme employé de l’obtention du diplôme à la retraite n’est plus la norme. Cela permettrait de remédier à la corruption et à la mauvaise gestion (qu’elle provienne d’ignorance ou de mauvaises intentions) à sa racine et placer les écoles à l’avant-garde de la construction de démocraties fortes. Cela démystifierait l’argent et ferait en sorte que la prochaine génération le gère de manière plus rationnelle et consciente. Les directeurs d’école et les ministres de l’éducation sont-ils suffisamment audacieux pour permettre aux étudiants de devenir vraiment alphabétisés financièrement ? Votre école veut-elle participer et essayer cette expérience audacieuse?
Nous commençons une série d'intervention pour tester les modules des matières sur lesquelles les enseignants ont été formés. Cette fois ci c'est plus de 3000 élèves qui seront formés par au moins 50 enseignants.